Marion Graf im Gespräch: Übersetzungen entstehen im Dialog mit Text, Autor und Lektor

Marion Graf
Marion Graf übersetzt aus dem Deutschen, aber auch aus dem Russischen ins Französische. - Bild: Younès Klouche

Wie bereits gemeldet, erhält die Literaturübersetzerin Marion Graf dieses Jahr den mit 40.000 Schweizer Franken dotierten Spezialpreis Übersetzung, der vom Bundesamt für Kultur vergeben wird.

Nathalie Garbely hat ein ausführliches Gespräch mit der Preisträgerin geführt, das wir weiter unten in französischer Sprache wiedergeben. Garbely ist selbst Übersetzerin, Herausgeberin und auf verschiedenen Ebenen im Schweizer Literaturbetrieb tätig.

In dem Interview erläutert Graf, dass eine Übersetzung im Dialog entstehe. Ihr erster Ansprechpartner sei stets der Text – nicht der Autor. Mit Letzterem trete sie erst gegen Ende ihrer Arbeit in Kontakt. In den Übersetzungsdialog einbezogen würden aber auch sachverständige Kollegen und Muttersprachler sowie Verlag und Lektoren.

Wir erfahren, dass Graf schon als Kind eine leidenschaftliche Leserin war und sich im Literaturstudium fürs Übersetzen begeistert hat. Ihr Berufswunsch habe schon früh festgestanden, die Übersetzerei empfinde sie als Berufung.

Die von ihr übersetzten Autoren seien wie Weggefährten. Berufsbedingt werde sie diesen untreu und wechsele vom einen zum anderen. Insgesamt betrachte sie es als enormes Privileg, Schriftstellern, die sie bewundere, ihre Stimme leihen zu können.

Auf ihre vielfältigen Nebenaktivitäten als Literaturkritikerin, Herausgeberin, Mitglied in Literaturjurys, Dozentin und Mentorin für Nachwuchsübersetzer angesprochen, antwortet Marion Graf, dass sie den Gedankenaustausch mit anderen braucht, die ihre Leidenschaft für die Sprache und Fremdsprachen teilen. Als Übersetzerin den ganzen Tag nur am Computer zu sitzen, genüge ihr nicht.

Nach Ansicht von Marion Graf haben sich die Verhältnisse für Literaturübersetzer in der Schweiz hinsichtlich Ausbildung, Förderung und Sichtbarkeit in den letzten Jahrzehnten enorm zum Besseren verändert. So erfolge die staatliche Übersetzungsförderung jetzt nicht mehr punktuell, sondern systematisch, beispielsweise durch Einrichtungen wie das Übersetzerhaus Looren.

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Entretien avec Marion Graf, lauréate du Grand Prix de traduction 2020

Votre première traduction a paru en 1986. Depuis les années 1990, vous publiez un à deux livres par an. Quelle place occupe la traduction dans votre quotidien ?

La première, bien sûr ! J’organise mes semaines en fonction des délais dans lesquels une traduction doit être rendue. Chaque texte avance à son propre rythme, mais selon des étapes qui sont toujours les mêmes – j’établis tout d’abord rapidement une première version, avec parfois des variantes pour avoir une vue d’ensemble, puis commence une écoute plus minutieuse du texte, assortie de recherches ponctuelles, terminologiques, contextuelles, lexicales, et enfin, j’en viens au façonnage du texte, avec de très nombreuses relectures, pour lui donner sa cadence, sa précision, sa cohérence propre en français. Le travail atteint son maximum d’intensité dans cette dernière étape, qui est pour moi la plus prenante.

Vous traduisez principalement de l’allemand, mais également du russe. Votre pratique de traductrice change-t-elle selon la langue du texte de départ ?

Mon immersion dans ces deux langues est très différente. Je pratique l’allemand au quotidien, dans divers domaines, tandis que je maîtrise moins le russe. Je n’ai pas la même assurance dans les deux langues. Aussi, quand je traduis du russe, je suis plus prudente. Je suis en dialogue avec des russophones pour toutes sortes de détails qui pourraient m’échapper, surtout du fait qu’une langue évolue et se renouvelle sans cesse.

Prenez-vous également soin d’être en dialogue lorsque vous traduisez de l’allemand ?

Oui, j’ai plusieurs interlocuteurs, auxquels je peux poser des questions de compréhension. Ce sont, par exemple, des amis écrivains, ou l’auteur lui-même. Quand je traduis Robert Walser, j’ai la chance de pouvoir travailler avec cet éminent spécialiste de Walser qu’est Peter Utz, professeur à l’Université de Lausanne. Évidemment l’éditeur et les correcteurs d’édition sont aussi importants.

Pour moi, la traduction se fait toujours en dialogue : elle m’oblige à sortir des limitations de ma langue acquise. D’ailleurs, il suffit d’ouvrir un dictionnaire pour constater que l’on ne « maîtrise » jamais complètement une langue.

Contactez-vous toujours les autrices et les auteurs que vous traduisez, lorsqu’ils sont en vie ?

Jusqu’à présent, je l’ai toujours fait. Cela me semble important. Même si mon interlocuteur premier est le texte, bien sûr, et pas l’écrivain. Je me considère comme une lectrice, une lectrice qui lit et relit un livre, qui cherche à approfondir sa compréhension personnelle du texte, et finit par lui donner forme dans ses propres mots.

Ce n’est en général que vers la fin du travail que je m’approche de l’auteur, et que je lui pose mes éventuelles questions. Une fois la traduction prête, je lui demande s’il souhaite la lire. S’il connaît le français, il peut me faire des remarques. Ce dialogue prend des formes différentes.

On connaît vos nombreuses traductions de Robert Walser et des poètes. On sait peut-être moins que vous traduisez également pour la jeunesse. Comment êtes-vous entrée dans cet univers-là ?

J’ai commencé par Le Cafard de Korneï Tchoukovski1. Un conte versifié, très connu en Russie. Deux aspects me plaisent particulièrement dans ces traductions pour la jeunesse. D’un côté, leur dimension sonore, qui nous rapproche de la poésie, puisqu’il s’agit le plus souvent d’albums illustrés destinés à une lecture à haute voix. D’un autre côté, parce qu’ils sont courts, ils s’insèrent comme des contrepoints dans des traductions au long cours : j’apprécie de m’évader dans un autre univers, d’échapper pour quelques jours à l’emprise qu’un auteur peut avoir sur moi. Et puis bien sûr, restituer la malice, la subtilité de conteurs aussi merveilleux que Jürg Schubiger ou Franz Hohler, ou Oren Lavie, c’est toute une aventure !

Pour en venir à vos « traductions au long cours », traduisez-vous de la prose de la même manière qu’un recueil de poèmes ?

Des prosateurs comme Markus Werner ou Christoph Simon cisèlent leur prose, la place de chaque mot compte. Par la précision de leur langue, ces auteurs sont proches des poètes. Pour les traduire, il faut dresser toutes ses antennes.

Pour les essais, l’approche est tout autre, parce que de nombreuses recherches sont nécessaires. J’en ai fait l’expérience avec la biographie de Mandelstam de Ralph Dutli2 ou Culture de la catastrophe de Peter Utz3. Je devais rendre ces textes accessibles, vivants et compréhensibles pour un grand public. La façon de sculpter la langue est alors tout à fait différente.

En somme, chaque projet vous amène à renouveler votre pratique de traductrice ?

Oui, et c’est vraiment ce que j’aime. Il faut chaque fois reforger ses outils, pour chaque auteur qu’on traduit.

Quant à la poésie, le rythme de travail est encore différent : la densité extrême d’un poème oblige à une démarche plus synthétique. Dans la poésie, la signification et la langue, avec les images, les sonorités, le rythme, la ponctuation, et même parfois les échos d’autres textes, constituent une entité. Un poème est souvent court, traduire tout un recueil exige sans cesse de nouveaux départs. D’ailleurs, quand je traduis des petites proses de Walser, je retrouve cette respiration. Je dois redémarrer à chaque entrée, il faut dire que Robert Walser soigne toujours beaucoup ses entrées !

Au moment de proposer vos services de traductrice aux éditions L’Âge d’Homme, dans les années 1980, imaginiez-vous que vous mèneriez une longue carrière de traductrice littéraire ?

J’étais passionnée par la traduction. C’était ce que je rêvais de faire. À ce moment-là, j’imaginais traduire davantage du russe ; le domaine allemand est arrivé plus tard, lorsque je me suis mise à traduire pour les éditions Zoé. Si je me voyais bien travailler dans la traduction, j’ignorais encore à peu près tout des conditions extérieures du métier. Mais c’était comme une vocation.

Au départ, grande lectrice, je dévorais très vite les livres. Mes études de littérature m’ont appris à lire lentement. J’ai découvert que la lecture fébrile, presque gloutonne, pouvait faire place à une lecture beaucoup plus minutieuse, d’une autre profondeur. C’est aussi ce que j’aime dans la lecture de poésie. Assez vite, cependant, j’ai compris que l’analyse et la critique de type universitaire me convenaient moins que la traduction.

Vous avez exercé de nombreuses activités, parallèlement à la traduction. J’imagine en partie par nécessité économique. Qu’est-ce que cela vous a apporté d’enseigner, d’être critique de poésie, de participer à des jury littéraires, de vous engager dans la Collection ch que vous avez présidée pendant dix ans, ou dans des programmes de mentorat avec des traducteurs plus jeunes ?

Dans toutes ces activités, je trouve un échange, dont j’ai besoin, avec des personnes qui partagent ma fascination pour la langue et pour les langues, dans leur diversité. Le tête-à-tête avec l’écran ne me suffit pas tout à fait.

Une langue, personne n’arrive jamais à en faire le tour : pensez à l’émergence de la parole chez le petit enfant, ou à l’apprentissage d’une langue étrangère, et bien sûr à la littérature sous toutes ses formes, au travail d’écriture de haut niveau d’un écrivain ou d’un poète, au transfert culturel nécessaire pour comprendre un écrivain d’ailleurs, ou à la communication raffinée sur laquelle repose le travail d’édition. Il y a donc des dimensions à la fois intimes, philosophiques, politiques, pédagogiques. Tous ces aspects sont liés à ce qu’est la langue profondément. Et la littérature.

En 2010, vous avez repris la responsabilité éditoriale de La Revue de Belles-Lettres, consacrée à la poésie contemporaine. Était-ce une évidence d’y accorder une large place à la traduction ?

C’est une revue qui a un long passé : environ cent cinquante ans ! C’est un magnifique lieu d’expression pour les poètes – notamment de Suisse romande, et la traduction y a toujours eu sa place. Comme je suis traductrice, cette place s’est encore affirmée, dans un esprit d’ouverture qui existait déjà : nous publions des poètes des autres régions linguistiques de Suisse, mais aussi de toute l’Europe, et d’autres continents. Chaque sommaire se voudrait un peu comme une chambre d’échos, entre ici et ailleurs.

C’est aussi, parfois, un laboratoire qui donne à entendre des voix nouvelles, susceptibles, pour certaines, de retenir l’attention des maisons d’édition. Surtout, une revue est une entreprise collective, qui met en présence une multitude d’interlocuteurs, et j’aime ce dialogue démultiplié.

Il y a une vingtaine d’années, vous avez dirigé un livre sur les relations entre écrivains et traducteurs4. Le traducteur y apparaît comme une figure méconnue. Entre temps, il y a eu du changement. Quel regard portez-vous sur la place accordée à la traduction littéraire aujourd’hui ?

En Suisse, pour les traducteurs, les choses ont énormément bougé, et dans le bon sens. Ce livre est sorti au moment de la présence suisse à la foire du livre de Francfort. C’est à cette époque que Pro Helvetia a développé un soutien à la traduction, non plus au coup par coup, mais sous une forme plus conséquente, plus suivie, plus réfléchie aussi. La collaboration entre la Collection ch et les maisons d’édition n’a cessé de s’améliorer. Le Collège de traducteurs Looren et le Centre de traduction littéraire à Lausanne ont joué un rôle fondamental. En Europe aussi, la traduction littéraire bénéficie de meilleurs soutiens. Tous ces efforts rendent la traduction littéraire plus visible.

Ce Prix spécial de traduction récompense l’ensemble de votre carrière. Y a-t-il une traduction qui vous est particulièrement chère ?

C’est difficile à dire, car tous les auteurs que j’ai traduits sont des compagnons. Des compagnons plus ou moins fugaces, puisque je passe de l’un à l’autre et leur suis par métier infidèle. Mais souvent je les retrouve, comme Markus Werner ou Klaus Merz, ou Erika Burkart, que j’ai suivis sur la durée.

Et il y a bien sûr Walser, que je continue de découvrir à chaque nouveau livre. Et, parce que le dernier livre qu’on a traduit nous est toujours le plus cher, je citerai Cubes danubiens de Zsuzsanna Gahse. Mais tous les auteurs ont leur place.

Chaque traduction a représenté une étape dans ma vie intérieure, comme une rencontre très profonde. C’est un privilège incroyable de pouvoir incarner dans sa propre langue des écrivains qu’on admire.

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[Quelle: Bundesamt für Kultur.]